Les plantes sont-elles des animaux comme les autres ?
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Loin des clichés sur la plante verte et passive, la biologie végétale ne cesse d’observer depuis une quinzaine d’années des facultés surprenantes que l’on croyait réservées au monde animal. Les végétaux ont de multiples capacités sensorielles qui leur permettent de communiquer entre eux et avec des insectes, de s’adapter aux situations de crise, de mémoriser, et à la grande surprise des chercheurs, leurs activités biochimiques sont liées à de mystérieuses activités électriques.
Au département de biologie moléculaire de la plante à l’Université de Lausanne, l’équipe dirigée par Edward Farmer travaille sur l’une des dernières découvertes qui émerveille le monde de la recherche : l’activité électrique des plantes.
L’arabette des dames est un modèle fréquent en biologie végétale. (Carl Davies, CSIRO)
Lorsque celles-ci sont blessées par exemple, elles émettent des signaux électriques qui passent d’un point à l’autre. « On s’est demandé si ces signaux électriques générés quand on blesse la plante peuvent déclencher des mécanismes biochimique de défense », précise Edward Farmer. Car les protéines de défense sont non seulement produites dans les parties attaquées, mais aussi dans les parties saines.
Existe-t-il une neurobiologie des plantes ?
Grâce au modèle de l’Arabette des dames (Arabidopsis thaliana), l’équipe a réussi à identifier les gènes qui déclenchent le signal électrique et à confirmer le lien avec l’activation des protéines de défense loin de la blessure. Les résultats publiés en 2013 dans Nature ont identifié trois gènes GLR (Glutamate Receptor-Like), semblables à ceux des animaux, impliqués dans ce processus électrophysiologique. « Ce qui est surprenant c’est que ces gènes sont très similaires aux gènes dans les synapses rapides du cerveau humain, alors qu’une plante n’a aucun neurone. C’est très intriguant et stimulant », s’enthousiasme le professeur Farmer.
Toute cellule biologique a un potentiel électrochimique de membrane qui agit comme une petite pile polarisée, mais la transmission électrique d’une cellule végétale à l’autre sur une longue distance reste une énigme. Avec une moyenne de 8 à 10 cm par minute – « un peu la vitesse d’une chenille qui marche sur une feuille » – le signal électrique a une vitesse hétérogène et « cet entre deux est un vrai casse tête pour la recherche », ajoute-t-il.
« Les plantes ont aussi des processus d’information, de mémoire, de décisions, de résolution de problèmes. »
Les nombreuses et déroutantes similitudes entre l’activité électrique des plantes et le système nerveux des animaux suscitent encore des débats, parfois houleux, dans la communauté des biologistes. Bien avant les travaux d’Edward Farmer, Stefano Mancuso de l’Université de Florence et Frantisek Baluska, de l’Université de Bonn, soulignaient dans leurs travaux l’importance de l’activité « synaptique » des plantes. A tel point qu’en 2005, Mancuso utilise pour la première fois l’expression « neurobiologie » végétale en fondant avec Baluska le Laboratoire international de neurobiologie des plantes.
A l’instar de nombreux collègues, Farmer réfute cette appellation car la plante n’a pas de neurone et qu’il n’est pas selon lui scientifique de faire des telles comparaisons.
Cerveau diffus
A contrario Baluska souligne que « ce qui est important c’est que la plupart des molécules responsables de la communication et des activités neuronales dans le cerveau humain sont aussi présentes chez les plantes avec des fonctionnements très similaires. Le processus est très proche et implique d’une certaine manière que les plantes ont aussi des processus d’information, de mémoire, de décisions, de résolution de problèmes ». Comment expliquer ce mécanisme alors que la plante n’a pas de cerveau ?
« Les plantes sont capables de produire et d’émettre des signaux électriques sur toutes les cellules de leur corps. De ce point de vue il y a une sorte de cerveau diffus, alors que chez les animaux tout est concentré dans un seul organe », ajoute Mancuso.
La sensitive garde en mémoire les stress qu’elle a subis durant une quarantaine de jours. (littlemisspurps/Flickr)
Directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) en France, Bruno Moulia quant à lui relativise, car « le piège des végétaux est qu’ils assurent de nombreuses fonctions – comme le mouvement vasculaire, le musculaire – avec les mêmes tissus. La question de l’activité synaptique des plantes est troublante mais on ne peut pas encore trancher. »
Des arbres sismographes
Au Japon, des chercheurs observent depuis longtemps que les arbres ont une activité électrique anormale qui se manifeste 3 à 4 jours avant un séisme et s’intensifie à l’approche du jour J. Mais le mécanisme ne permet pas encore de localiser l’épicentre et l’ampleur d’un séisme.
« La mémoire ou l’apprentissage des plantes ne sont pas comparables aux nôtres. »
Grâce à plus de 700 capteurs sensoriels répertoriés dans le monde végétal, les plantes analysent en permanence leur environnement pour mesurer la température, l’humidité, la lumière, etc. Elles n’ont pas d’yeux et pourtant elles voient, elles n’ont pas de nez et pourtant elles sentent, elles n’ont pas d’oreilles et pourtant elles réagissent aux ondes sonores...
De nombreuses études ont également montré qu’à la suite d’un stress (climat, torsion, etc.) les plantes sont capables de s’en souvenir et de s’adapter à leur environnement. Cette mémoire varie de quelques jours à une quarantaine de jours pour la sensitive (Mimosa pudica) par exemple, qui selon l’équipe de Mancuso montre aussi des capacités d’apprentissage.
La mémoire des plantes
Au laboratoire de Bruno Moulia à Clermont-Ferrand on a montré que la plante est même capable de faire certains « calculs ». Pour autant, Francis Hallé, botaniste français, prévient qu’il ne s’agit pas d’une « mémoire ou d’un apprentissage comparables aux nôtres. Une plante que vous n’arrosez que rarement par exemple, aura l’habitude de vivre au sec, elle s’en souvient. Par contre si vous l’arrosez beaucoup, et bien le jour où vous ne l’arrosez plus elle meurt. Car la plante dépend aussi de ce qu’il lui est arrivé dans les époques antérieures. »
Cette mémoire est généralement activée avec l’expression d’un gène jusqu’alors inactif. « Les gènes peuvent être modifiés chimiquement par des facteurs environnementaux, tels que le stress, et ces modifications épigénétiques peuvent dans certains cas être transmis à la génération suivante. Cette sensibilité du génome est surprenante et nous commençons à peine à explorer la portée du contrôle épigénétique du développement de la plante », explique Lincoln Taiz, Professeur émérite à l’Université de Californie.
Si l’être humain a près 25 000 gènes, les végétaux en ont souvent beaucoup plus, comme le riz qui en compte plus de 40 000. Alors que l’animal a la possibilité de se déplacer, la plante a finalement trouvé ses réponses dans la richesse et la variabilité génétique. « Un gage de longévité », assure Francis Hallé pour qui le plus important reste sans doute encore à découvrir.
www.letemps.ch Sabah Rahmani