Chalarose du frêne et autres maladies invasives : il est possible de mieux protéger les forêts
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En forêt, le long des routes et des rivières, dans les haies du bocage, de nombreux frênes européens sont malades : leurs feuilles flétrissent, leurs tiges se nécrosent et leurs branches se dessèchent.
Cette maladie, appelée chalarose, a soudainement provoqué de graves dépérissements dans le nord et l’est de la France et elle progresse vers l’ouest et le sud. Dans ces régions, on estime que sur 100 arbres vivants avant l’arrivée de la maladie, un seul restera totalement indemne ; les autres seront plus ou moins affaiblis et certains mourront.
Les plus jeunes sont les plus vulnérables. En effet, après huit ans de présence de chalarose, seuls 15 % des très jeunes arbres restent vivants. Les individus âgés ont eux une croissance réduite, mais au final tolèrent mieux cette maladie et meurent nettement moins.
Un champignon venu d’Asie
De part son ampleur et son origine, la chalarose est qualifiée de maladie émergente et invasive. Le responsable de ce déclin est un champignon microscopique appelé _ Chalara fraxinea _, originaire d’Asie orientale. Là-bas, le pathogène et les espèces de frênes asiatiques cohabitent sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre. Les dégâts sont donc limités et uniquement localisés sur les feuilles.
La maladie a initialement émergé en Europe orientale au début des années 1990. Le champignon y a trouvé un nouvel hôte sensible, le frêne commun, Fraxinus excelsior, avec lequel il n’a jamais coévolué. Le champignon prend le dessus, créant un rapport de force défavorable à son partenaire. Il prolifère, passe de la feuille aux branches – ce qu’il n’est pas capable de faire sur les frênes asiatiques – et cause finalement la mortalité des branches.
Si les jeunes frênes (à gauche) sont particulièrement vulnérables, les sujets adultes (à droite) peuvent aussi dépérir fortement. INRA Nancy, Author provided
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La population de frênes européens, mal armée face à ce nouveau parasite, est rapidement et fortement affectée. En Europe, le frêne commun ne représente que 3 à 4 % de la surface forestière. Cependant, il est très largement réparti dans de nombreux habitats : difficile de parcourir un kilomètre sans apercevoir un frêne.
Le champignon pathogène a ainsi trouvé sur le Vieux Continent un terrain de jeu idéal pour agir. En effet, il se dissémine très rapidement grâce à ses spores véhiculées par le vent passant aisément d’arbres en arbres au fil des années.
Ainsi, après avoir réussi à s’introduire et à s’établir en Pologne et dans les pays baltes, il est rapidement devenu invasif en Europe, parcourant 50 à 60 km par an. En France, une décennie après son introduction, Chalara fraxinea couvre aujourd’hui une grande partie du pays. Son arrivée dans les régions limitrophes de l’océan atlantique est attendue d’ici un ou deux ans.
Répartition de la chalarose en France. Département de la santé des forêts
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Dans ce dédale de mauvaises nouvelles subsistent quelques espoirs. Tout d’abord, l’amplitude de la chalarose restera certainement limitée dans le Sud, car le parasite tolère mal les températures estivales élevées. Et surtout, bien que rares, certains individus parmi les frênes européens présentent une tolérance à la maladie proche de celle des frênes asiatiques. De plus, ceux-ci sont capables de transmettre leur tolérance à leur descendance, produisant ainsi petit à petit une nouvelle génération de frênes mieux armées contre la maladie.
Des agents pathogènes introduits par accident
Si elle est assez exceptionnelle par ses répercussions économiques et écologiques, l’émergence de la chalarose n’est pas un cas isolé. En effet, la majorité des émergences de maladies infectieuses chez les plantes (dues à des bactéries, champignons ou virus) proviennent d’introductions accidentelles d’agents pathogènes, loin devant des causes liées au changement du climat ou aux modes de culture.
L’action de l’Homme est directement responsable de ces accidents par manque de vigilance. Pour la chalarose, on soupçonne fortement l’importation massive de frênes asiatiques durant les années 1960-1980 dans les pays baltes d’être à l’origine de l’arrivée de l’agent pathogène associé. Le transport de plants vivants infectés est en effet l’une des principales façons d’introduire des parasites dans une nouvelle région ou un nouveau continent.
Heureusement, la plupart des parasites échouent à s’installer, faute à l’absence d’hôtes sensibles ou à un climat non propice à sa multiplication. Cependant, quelques-uns y parviendront et pourront devenir invasifs dans leurs régions d’adoption.
Flétrissement de branches d’ormes dû à la graphiose. INRA Nancy-Lorraine,
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Le principal problème est que le nombre d’espèces étrangères introduites par an en Europe augmente de façon exponentielle depuis le début du XXe siècle. La forêt en paie un lourd tribut : la quasi-disparition de l’orme des paysages européens, le déclin du platane le long des canaux du sud de la France ou des aulnes le long des rivières, les chancres orange sur les troncs des châtaigniers et le flétrissement de milliers d’hectares de mélèze au Royaume-Uni sont autant d’autres exemples de maladies ayant pour origine un parasite venu d’ailleurs.
Comment lutter contre ces parasites ?
Lorsqu’on réussit à identifier l’origine, on remarque que l’Asie et l’Amérique du Nord sont les plus grands pourvoyeurs de parasites exotiques en Europe. Il n’est donc pas surprenant de constater que le nombre d’invasions est lié au flux d’importations de marchandises. La mondialisation du marché et l’intensification des échanges internationaux favorisent grandement l’introduction de parasites exotiques.
Est-il dès lors possible de lutter contre l’introduction de pathogènes des plantes compte tenu des enjeux liés au commerce international et à l’afflux de cargaisons arrivant chaque jour dans les ports européens ? Le combat pourrait sembler perdu d’avance… Aux États-Unis, la perte financière causée par les parasites et ravageurs forestiers exotiques a été estimée à 4 milliards de dollars par an. Le coût est encore bien plus impressionnant en agriculture. Cela mérite donc que l’on s’y intéresse de près.
Pour les cultures agricoles et maraîchères, c’est la solution curative qui a été principalement choisie depuis longtemps, par l’application de pesticides. Mais pour les arbres forestiers, cela n’est pas possible : le coût serait prohibitif en raison de la dispersion des espèces dans le paysage et l’épandage de pesticides dans une nature perçue comme réserve de biodiversité créerait une pollution inacceptable. Enfin, l’éradication mécanique et par brûlage ne peut être efficace que pour des parasites à faible pouvoir de dissémination.
Par conséquent, l’effort doit être mis sur la solution préventive.
Prévenir, le maître mot
Cette prévention passe avant tout par un renforcement considérable du contrôle des marchandises provenant d’autres continents. C’est ce qui a été accompli aux États-Unis au début du XXe siècle, puis au Canada ; les résultats ont été spectaculaires. En effet,
la loi sur la quarantaine des plantes a donné aux services d’inspection sanitaire américains les moyens de réglementer et de contrôler les importations de plantes en provenance de pépinières et a permis de lutter efficacement contre l’introduction d’insectes ravageurs exotiques. En Europe, l’efficacité de la quarantaine a été limitée en raison de la division politique. La situation s’améliore et il faut espérer que la volonté de s’y investir en force permettra de réduire significativement les pertes financières liées à ces maladies invasives comme outre-Atlantique.
La loi sur la quarantaine des plantes a réduit le risque d’introduction de ravageurs aux États-Unis. Adapté de Roques A./NZJFS (2010)
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Quand bien même cette solution serait efficace pour restreindre les risques d’invasions, il faut être prêt à réagir avec cohérence quand une intrusion passe entre les mailles du filet. Et cette réaction ne peut être appliquée qu’au cas par cas après avoir mis les efforts nécessaires pour identifier la cause et comprendre le processus épidémiologique.
Quand la chalarose est arrivée en Europe, la cause semblait perdue pour les frênes face à l’agressivité du pathogène et l’intensité des dégâts dans les premières régions touchées. Le premier constat était alarmant. Il est vrai que les plantations de frênes sont aujourd’hui vouées à l’échec. En revanche, l’espèce frêne n’est pas en danger d’extinction pour peu que l’on décide de bien gérer l’existant.
C’est ici que nous avons un rôle crucial à jouer en repérant les individus tolérants à la maladie et en les préservant dans leur milieu naturel. Ainsi, bien que peu nombreux, ces derniers pourront sauver l’espèce et seront porteurs d’avenir pour les frênaies de demain.
Le rapport NORNEX évoque la seconde menace pour les frênes : l’agrile du frêne, un insecte présent en l’Europe, et qui s’est répandu à partir de l’ouest de Moscou. Cet insecte vert clair est originaire des mêmes régions de l’est de l’Asie que l’H. fraxineus, mais il s’est propagé en Amérique du Nord – probablement à la fin des années 1990, au début des années 2000 – où il a dévasté toutes les espèces indigènes de frênes. Il est aujourd’hui très probable que l’agrile du frêne s’étende progressivement à travers l’Europe et jusqu’au Royaume-Uni.
Les frênes qui survivront aux effets de l’H. fraxineus offriront certainement une bonne source d’alimentation pour l’agrile au Royaume-Uni. Il est donc essentiel que les efforts menés pour comprendre le dépérissement se poursuivent à propos du ravageur.
Sauver ces arbres est possible, mais pas du jour au lendemain. Quelques pistes prometteuses sont apparues, mais il nous faudra encore déterminer si les frênes asiatiques pourront fournir des habitats appropriés aux espèces dépendantes des frênes natifs pour leur survie ; une question écologique très épineuse.
Améliorer la résistance des arbres en ayant recours à des espèces de frênes asiatiques semble très prometteur pour l’avenir – et pas seulement pour ces arbres. Les méthodes génétiques utilisées par NORNEX sont pertinentes pour différentes espèces menacées par d’autres maladies et insectes. L’espoir est permis avant d’avoir à sombrer dans les scénarios catastrophes qui alimentent l’intérêt fugace des médias…
Claude Husson
Ingénieur d’études, UMR « Interactions Arbres-Microorganismes », INRA
Benoit Marçais
Directeur de recherche, unité de recherche « Interactions arbres-microorganismes », INRA-Nancy, INRA
Déclaration d’intérêts
Claude Husson a reçu des financements de l’ANR, de l’UE, du MAAF-DGAL, de l’Agence de Bassin Rhin-Meuse et du Labex Arbre.
Benoit Marçais a reçu des financements de l’ANR, de l’UE, de la DGAL, de l’Agence de bassin Rhin-Meuse et du Labex Arbre.
https://theconversation.com/larbre-qui-pourrait-sauver-les-forets-de-frenes-du-royaume-uni-58558