L’Anthropocène se distingue stratigraphiquement de l’Holocène.

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mardi 1er mars 2016
par  Marie-José Turquin
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Les activités humaines altèrent depuis longtemps de nombreux processus géologiques terrestres. Quelles sont les données stratigraphiques qui permettraient de distinguer officiellement cette nouvelle époque géologique dominée par l’Homme, et nommée Anthropocène, de la précédente dite Holocène ? Une équipe internationale comprenant des chercheurs du laboratoire Morphodynamique continentale et côtière (M2C, CNRS / Université de Caen Normandie / Université de Rouen) et du Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS/OMP, UPS / CNRS / CNES / IRD) ont réalisé une synthèse bibliographique des signatures climatiques, biologiques et géochimiques des activités humaines enregistrées dans les sédiments et les carottes de glace. Ils ont ainsi pu montrer que, d’un point de vue stratigraphique, l’Anthropocène se distingue clairement comme une nouvelle époque, initiée durant de la seconde moitié du XXe siècle et caractérisée par l’apparition de nouveaux géo-matériaux et radionucléides, par l’augmentation des concentrations atmosphériques en gaz à effet de serre, ainsi que par la dissémination globale d’espèces non-indigènes.

L’Homme altère la planète, y compris certains processus géologiques globaux, à un rythme croissant. Une reconnaissance officielle de l’Anthropocène, époque géologique dominée par l’Homme, au sein de l’échelle des temps géologiques ne peut reposer que sur des arguments prouvant que les activités humaines ont suffisamment modifié le système terrestre pour produire, dans les sédiments (marins, lacustres ou continentaux) et les calottes glaciaires, une signature stratigraphique distincte de celle de l’Holocène. Les propositions formulées jusqu’à présent pour marquer le début de l’Anthropocène sont entre autres l’expansion dès le Néolithique de l’agriculture et de la déforestation, l’échange colombien d’espèces entre l’ancien et le nouveau monde au XVe et XVIe siècles, la révolution industrielle de 1800 et la « grande accélération » liée à l’explosion démographique et à l’industrialisation initiées au milieu du XXe siècle.

Une équipe internationale comprenant des chercheurs du M2C et du LEGOS a réalisé une grande étude bibliographique portant sur les signatures sédimentaires, géochimiques, climatiques et biologiques des activités humaines enregistrées dans les sédiments et les carottes de glace.

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Carotte de sédiment obtenue dans UN FJORD SITUÉ À l’ouest du Groenland (69˚03’N, 49˚54’W), se traduit par montrant une transition stratigraphique abrupte, de sédiments proglaciaires vers de la matière organique, laquelle traduit le recul de la calotte glaciaire lié au réchauffement climatique global. © Jason P. Briner, State University of New York at Buffalo

Ils ont ainsi pu mettre en évidence que les signatures enregistrées dans les sédiments et carottes de glace récents diffèrent clairement de celles enregistrées dans les sédiments plus anciens.

Concernant les signatures sédimentaires, les dépôts sédimentaires récents contiennent de nouveaux minéraux et types de roches, dont la présence reflète la dissémination rapide à partir de 1950 de géo-matériaux (matériaux fabriqués à partir de matériaux géologiques) comme l’aluminium, le béton et les plastiques.

Ces dépôts contiennent également de la suie, des cendres inorganiques et des particules sphériques carbonacées issues de la combustion d’hydrocarbures fossiles, dont les concentrations ont augmenté de manière quasi-synchrone à l’échelle mondiale vers 1950.

Les sédiments prélevés dans les lacs ou en milieu côtier sous influence fluviale montrent des dépôts accrus de sédiments fins à des époques qui varient selon les lieux et correspondent aux grands flux migratoires Ces dépôts sont le signe d’une augmentation globale des flux sédimentaires en réponse à l’augmentation de l’érosion des sols par la déforestation et la construction des réseaux routiers.

En terme de signatures géochimiques, les sédiments contiennent des quantités élevées d’hydrocarbures aromatiques polycycliques et de polychlorobiphényles issus de processus industriels ainsi que de résidus de pesticides. Ils présentent aussi une augmentation du rapport Pb/Pb due à l’usage, à partir de 1945 environ, de carburants au plomb.

Les sédiments lacustres montrent une signature globale élevée en azote et phosphore et les glaces du Groenland des taux de nitrate jamais atteints depuis les derniers 100 000 ans, du fait de l’usage récurrent d’engrais artificiels au cours du dernier siècle.

Les sédiments laissent également apparaître de nouveaux radionucléides comme le plutonium : l’explosion de la bombe atomique Trinity à Alamogordo (Nouveau-Mexique) le 16 juillet 1945 a engendré des retombées radioactives locales de 1945 à 1951, tandis que les tests de bombes thermonucléaires ont produit un signal global de 1952 à 1980 (« pic nucléaire ») d’excès en C, Pu et d’autres radionucléides artificiels, dont la concentration culmine en 1964.

Les analyses des carottes de glace montrent que les concentrations atmosphériques en CO2 et CH4 dévient de leurs niveaux précédents, dont ceux du Quaternaire, à partir de 1850 environ, et de manière plus marquée vers 1950, les cernes d’arbres et les biocarbonates (coquilles de mollusques et coraux) enregistrant dans le même temps une chute du ?C qui indique que l’on brûle moins de bois et plus d’hydrocarbures fossiles.

En terme de signatures climatiques, un enrichissement mineur en ?O des glaces du Groenland à partir de 1900 environ est également observé dans les carottes de glace indiquant que la température moyenne globale a augmenté de 0.6 à 0.9°C de 1900 à aujourd’hui, dépassant la gamme de variation des derniers 14 000 ans.

Le contenu en reste biologique des carottes de sédiments (dépôts archéologiques et paléontologiques) montre que les changements affectant la biodiversité sont également marqués. Les taux d’extinction d’espèces ont nettement augmenté à partir du XIXe siècle et dépassent aujourd’hui de loin la tendance à long terme qui était en vigueur avant le XVIe siècle. Les communautés écologiques ont été modifiées sur l’ensemble de la planète du fait d’un échange global d’espèces. Associé à l’élevage et à la pêche, ce phénomène sans précédent dans les temps géologiques a reconfiguré de manière permanente la trajectoire biologique de la Terre.

Cette synthèse démontre à quel point l’humanité est impliquée dans des changements rapides et profonds du système terrestre. Elle a conduit les chercheurs à proposer une formalisation de l’Anthropocène en tant que nouvelle époque géologique, avec un démarrage (restant à identifier) situé durant la seconde moitié du XXe siècle.


Source : CNRS-INSU