Ceux qui cachaient un miracle dans leurs veines : à la recherche des donneurs au groupe sanguin rarissime et précieux.
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Thomas est l’une des quarante personnes sur Terre à appartenir au groupe sanguin Rhnull, un sang capable de sauver n’importe quelle personne du groupe sanguin Rhésus, l’un des plus large au monde.
Vous l’ignorez peut-être mais il existe un type de sang, le Rhnull, capable de sauver n’importe quelle personne du groupe sanguin RH (Rhésus). En cinquante ans, les chercheurs n’ont répertorié que cinquante personnes avec ce « sang en or ». Parce qu’il coule dans les veines de si peu de personnes, le sang rare n’est quasiment jamais demandé.
Mais quand c’est le cas, trouver un donneur peut devenir une véritable course contre la montre dans le monde entier. Dans le site mosaicscience.com, Penny Bailyer raconte l’histoire de Thomas, un Suisse de 50 ans détenteur d’un phénotype Rhnull.
Il y a quarante ans, Thomas s’est rendu à l’Université de Genève pour faire traiter une infection. Les médecins lui ont alors fait un test sanguin et il s’est avéré que son sang n’appartenait à aucun groupe connu. Il existe trente-cinq systèmes de groupes sanguins. Ces derniers consistent en une classification de sang reposant sur la présence ou l’absence de substances antigéniques héritées à la surface des globules rouges. Ces antigènes peuvent être des protéines, des glucides, des glycoprotéines ou des glycolipides, selon le système de groupe sanguin. Les divers groupes sanguins sont regroupés en systèmes.
Le système RH (Rhésus) est le plus large : il contient 61 antigènes. Thomas, lui, semblait manquer de tous les antigènes RH. Intriguée, le Docteur Marie-José Stelling, qui dirigeait alors le laboratoire d’hématologie et d’immunohématologie à l’Université de l’hôpital de Genève, a alors envoyé le sang de Thomas à Amsterdam puis à Paris pour des analyses plus approfondies. Les résultats de ces dernières ont confirmé ses suspicions : Thomas appartenait bien au groupe sanguin Rhnull, ce qui en faisait un être rare et précieux aux yeux de la science.
Les échantillon de sang rare négatif sont tellement demandés par les chercheurs qu’il arrive que ces derniers traquent les donneurs pour leur demander de donner directement du sang. Chose complètement illégale, les échantillons de sang stockés dans les banques étant anonymes. Et parceque le groupe sanguin Rhnull est considéré comme « universel » pour quiconque appartient à un groupe sanguin rare du système RH, sa capacité à sauver des vies est considérable. Très prisé par les médecins, il est donné aux patients avec une extrême précaution et, ce, dans des circonstances exceptionnelles.
Dès sa majorité, Thomas a été encouragé à donner son sang. Les banques de sang congelé n’existant pas en Suisse, le sang de Thomas est stocké dans les banques à Paris et Amsterdam. Aussi, voilà près de trente ans que Thomas se rend en France deux fois par an pour aller donner son sang.
Quelques années après que Thomas a commencé, il a reçu un appel de l’hôpital lui demandant s’il acceptait de prendre un taxi jusqu’à Genève pour donner à un nouveau-né. Pour la première fois, Thomas a réalisé à quel point son sang était important. Il a aussi compris que les coûts de donation lui reviendraient toujours. Car, si quelques pays payent leurs donneurs pour les encourager, la plupart des services de sang internationaux ne préfèrent pas le faire, afin de dissuader les donneurs infectés par le VIH par exemple.
Au-delà d’une quelconque compensation, en Occident, les services de sang ne couvrent même pas les couts de transports ou les congés pris par les donneurs. Ils ne peuvent même envoyer un taxi pour aller chercher le donneur chez lui, ce qui peut s’avérer être un grave problème. Thierry Peyrard, Chef de Laboratoire à l’ Institut National de la Transfusion Sanguine à Paris, interrogé par Penny Bailey raconte par exemple avoir été récemment contacté par un médecin à Zurich qui lui demandait un donneur de type sanguin rare afin de soigner un malade. Peyard n’a trouvé que quatre donneurs compatibles en France et n’a réussi à en joindre que deux. L’un d’entre eux était une femme vivant dans un village près de Toulouse. Elle était plus que d’accord pour donner son sang mais ne pouvait pas conduire et n’a donc pas pu se rendre au centre.
Ainsi donc, deux fois par an, Thomas prend un jour de congé pour se rendre à Annemasse en France, à ses frais, et y donner son sang. Car Thomas préfère se déplacer lui-même, les paperasseries administratives pour exporter du sang dans un autre pays étant un véritable cauchemar. .
En 2013, Walter Udoeyop, consultant au centre médical de la ville de Johnson, aux Etats-Unis, a reçu un courrier venant d’un vieil ami du Nigeria, le père Gerald Anietie Akata . Sa mère Fransisca souffrait d’une tumeur au cœur mais aucun hôpital du Nigéria n’était en mesure de la soigner correctement et Akata avait besoin d’aide. Après calcul, Walter a réalisé que l’opération, si elle avait lieu aux Etats-Unis, coûterait au moins 75 000 dollars. Il s’est alors souvenu qu’un de ses amis avait récemment subi une opération à cœur ouvert aux Etats-Unis pour « seulement » 20 000 dollars. Il a donc appelé l’hôpital en question qui a accepté d’opérer Fransisca. Mais, quelques jours après son admission, les médecins ont découvert qu’elle appartenait à un rare groupe sanguin, partagé par seulement 0,2% de la population blanche : le Luthéran B négatif. Pour compliquer le problème, elle était aussi O négatif : un groupe sanguin également très rare, partagé par 5% des gens. La combinaison était tellement rare qu’il semblait alors presque impossible de trouver un donneur compatible à Fransisca.
L’hôpital ne trouvant aucun donneur compatible aux Emirats Arabes Unis ni dans aucun Etat du Golfe, Fransisca a dû rentrer chez elle en attendant qu’on lui trouve quelqu’un.
Walter s’est donc mis en quête lui-même d’un donneur compatible aux Etats-Unis. Il a fait le tour de tous les centres de don du sang du pays avant de découvrir le American Rare Donor Program à Philadelphie, qui répertorie tous les donneurs de sang rares des Etats-Unis. Il alors découvert des donneurs potentiels.
Mais malheureusement, il est beaucoup plus difficile pour le sang de traverser une frontière que pour une personne. « Vous n’imaginez pas à quel point il est difficile d’importer ou d’exporter du sang rare », explique Thierry Peyrard. « Votre patient est en train de mourir et vous avez des gens dans un bureau qui réclament toutes sortes de paperasse. C’est juste fou. Il ne s’agit pas d’une télévision ou d’une voiture. C’est du sang ».
Mais, comme Walter a pu en faire l’expérience, envoyer du sang d’un pays à l’autre est plus qu’un cauchemar bureaucratique. En effet, l’hôpital des Emirats Arabes Unis qui devait traiter Fransisca a pour politique de ne pas accepter de donations hors des Etats du Golfe. Fransisca n’a donc pas pu bénéficier du sang que Walter avait finalement trouvé aux Etats-Unis.
La situation semblait désespérée. Jusqu’à ce que le père Akara n’entende parler d’un petit hôpital généraliste au Cameroun qui venait d’installer un programme de chirurgie du cœur grâce aux fonds de l’Eglise catholique. Walter a donc contacté les chirurgiens présents là-bas. Ces deniers lui ont confirmé qu’ils pourraient opérer Fransisca si, lui, pouvait leur fournir le sang nécessaire.
La banque américaine des rares donneurs a donc contacté le service national du service du sang en Afrique du Sud. Ce dernier a trouvé quatre donneurs potentiels. Mais l’un d’entre eux était injoignable, un autre ne pouvait plus rien donner jusqu’à la fin de l’année et les deux derniers étaient médicalement interdits de toute donation, problème courant avec les donneurs de sang rare. Car il y a des limites à ce qu’ils peuvent donner. Garder leur trace est également compliqué : certains tombent malades ou meurent quand d’autres déménagent sans en informer les services de sang.
Les banques de sang rare congelé d’Afrique du Sud ont fini par trouver deux unités de sang compatibles. Toutefois, la durée de vie du sang congelé est de 48 heures quand celle du sang frais est d’un mois. Aussi, s’il était retardé à cause de problèmes à la douane le sang congelé serait inutilisable le temps d’arriver au Cameroun.
Il restait toutefois un dernier espoir : le Blood Group Reference Laboratory (IBGRL) à Filton, près de Bristol en Angleterre. Ce dernier est l’un des laboratoires meneurs en terme d’identification de sang rare. Il gère les données des donneurs de sang rare dans le monde entier via le Panel International des Donneurs Rares.
Si le donneur et le patient vivent dans des pays différents, le service de sang des deux pays s’occupent de négocier les couts. Le pays demandeur couvre généralement le cout du vol du sang à 4 degrés, la température à laquelle les cellules fraiches doivent être préservées pour rester intactes avant la transfusion.
« C’est généralement un accord réciproque entre les pays pour que quelqu’un qui a besoin de sang ne soit jamais pénalisé à cause de l’endroit où il se trouve », explique Nicole Thorton, chef du Red Cell Reference at the IBGRL. « Quelques pays taxent un peu plus par unité de sang mais il n’y a pas de règle stable. La plupart ne chargent pas trop car ils risquent de se retrouver dans la même situation à un moment donné ». Au Royaume-Uni, la charge est de 125,23 livres par sac de sang.
Walter est donc entré en contact avec Nicole Thornton. Cette dernière a trouvé 550 donneurs appartenant à la fois aux groupes O Négatif et Luthéran B Négatif, comme Fransisca. Les groupes sanguins se transmettant de génération en génération, ils ont tendance à être regroupés dans des populations spécifiques. Ainsi, 400 de ces donneurs habitaient au Royaume-Uni, la plupart vivant à Londres ou dans ses environs. Un vol Royaume-Uni-Cameroun étant bien plus rapide qu’un en provenance des Etats-Unis, le sang en provenance de Londres avait de grandes chances d’être encore frais. Les services de sang ont accepté d’envoyer six sacs de sang.
C’est alors que Walter a découvert à quel point l’hôpital était loin des principaux aéroports du Cameroun, situés à Douala et Yaoundé. Pour arriver à Kumbo, le sang devrait passer sept heures secoué sur une mauvaise route, dans une chaleur suffocante. Afin de simplifier les choses, l’hôpital a accepté d’envoyer un hélicoptère à l’aéroport. Le sang de Fransisca Akata a donc atterri à l’aéroport international de Douala à midi le vendredi 21 mars 2014 et est arrivé à l’hôpital deux heures plus tard, juste après que Fransisca a été amenée en salle d’opération.
Cette dernière a été un succès et le diocèse catholique de Kumbo a ensuite trouvé un endroit à la malade où celle-ci puit récupérer tranquillement avant de pouvoir rentrer chez elle. Walter s’émerveille encore aujourd’hui de tous ces efforts, déployés par tant de personnes, sur trois continents différents, pour sauver une vie.
Quant à Thomas, son sang a pu sauver un nombre de vie incalculable. Mais si jamais il a un jour besoin de sang pour lui-même, il pourra seulement recevoir du sang Rhnull. Seule une quarantaine de personnes sur Terre pouront le sauver, la plupart d’entre elles vivant sur d’autres continents. Et si Thomas décide de stocker une unité de sang pour lui-même, au cas où, celle-ci doit pouvoir être utilisée pour quiconque qui en aurait besoin.
C’est pourquoi, depuis son plus jeune âge, les parents de Thomas lui ont appris à ne prendre aucun risque. Adulte, il conduit prudemment et ne voyage pas dans des pays qui ne disposent pas d’hôpitaux modernes. Il garde toujours dans son porte-monnaie une carte de l’Institut National de la Transfusion Sanguine, confirmant son type de sang Rhnull, au cas où il serait hospitalisé.
Malgré tous les inconvénients qu’elle présente, la particularité de Thomas lui plait. Quand il l’a finalement rencontré, le docteur Peyrard lui a appris son sang avait sauvé de nombreuses vies. « Dans un sens, j’ai de la chance. Malgré mon sang spécial, j’ai pu avoir des enfants et fondé une famille. Donc je suis heureux », conclut Thomas.