Hypatia, cette pierre extraterrestre qui bouscule les théories sur la formation du système solaire

dimanche 11 février 2018
par  Marie-José Turquin
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Découvert dans le désert du Sahara il y a plus de 20 ans, un étrange petit caillou répondant au nom d’Hypatia soulève bien plus d’interrogations qu’il n’y paraît, remettant en question la formation même de notre Système solaire.

C’était il y a plus de vingt ans. En décembre 1996, des spécialistes ont découvert un petit caillou très spécial dans l’Est du désert du Sahara. Depuis, des analyses ont été menées, révélant que l’objet est bien moins modeste que ce que son apparence ne laisse suggérer. Il remet même en question les théories sur la formation du Système solaire.

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Ici, nous voyons quelques fragments de la pierre Hypatia, découverte dans le sud-ouest de l’Égypte dans le champ de verre du désert libyen. Crédit Image : Dr Mario di Martino, INAF Osservatorio Astrofysico di Torino.

Surnommée Hypatia en référence à Hypathie d’Alexandrie, la première mathématicienne et astronome en Occident, cette pierre interstellaire possède en effet des propriétés jamais observées jusqu’à présent sur Terre ni dans ses environs.

Un « cake aux fruits » géologique

En 2013, une équipe de Johannesburg en Afrique du Sud a postulé que la pierre provenait du noyau d’une comète écrasée sur terre. Cette hypothèse serait concomitante avec le fait qu’on ait trouvé Hypathia dans une partie du désert jonchée de verre lybique. Ces fragments de verre d’un jaune pâle, disséminés sur plus de 6.000 kilomètres carrés dans le Sahara, auraient pu se former au moment où la comète aurait touché le sol, la chaleur résultante faisant fondre le sable alentour.

Puis en 2015, la même équipe a étudié les gaz nobles et l’azote contenus dans Hypatia, concluant que son origine était extraterrestre. C’est dans un nouvel article publié dans la revue Geochimica et Cosmochimica Acta qu’ils analysent aujourd’hui sa composition plus en profondeur, révélant la présence d’éléments inattendus. Pour mieux comprendre ces incongruités, le professeur Jan Kramers, co-auteur de l’étude, nous propose une métaphore pâtissière.

« La partie principale d’Hypatia peut être comparée à la pâte mal mixée d’un cake aux fruits, ce que l’on qualifierait en géologie de deux matrices mélangées. Les fruits confits représenteraient les grains minéraux que nous avons trouvés dans les inclusions d’Hypatia », explique-t-il. eEnfin, une couche de sucre glace viendrait tenir le rôle des matériaux secondaires d’origine terrestre, découverts dans les fractures d’Hypatia".

Une composition inhabituelle

Le fragment d’à peine quelques millimètres proviendrait originellement d’un objet beaucoup plus massif, probablement de plusieurs mètres de large. Toutefois, pour l’équipe, il ne fait aucun doute qu’Hypatia n’a rien d’une météorite classique. « Si nous pouvions moudre la Terre dans un gigantesque mortier, nous obtiendrions une poudre dont la composition moyenne serait très similaire à celle des météorites chondritiques », poursuit Kramers.

« Dans les chondrites, nous trouvons habituellement une petite quantité de carbone et une bonne dose de silicates. Mais la matrice d’Hypatia contient une quantité massive de carbone et une proportion de silicate étonnamment basse », ajoute-t-il. Elle contient, de surcroît, des composés de carbones spécifiques, appelés hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP.

Ces HAP sont un élément majeur de la poussière cosmique qui précède notre système solaire. On trouve cette poussière entre autres dans les comètes et les météorites qui n’ont pas été chauffées durant une période prolongée de leur existence. La plupart des composés carbone d’Hypatia ont pour leur part été changés en diamants microscopiques, probablement suite à son entrée dans l’atmosphère terrestre ou son impact, la préservant des éléments jusqu’à sa découverte.

Lors de l’analyse des grains trouvés dans les inclusions d’Hypatia (les « fruits secs » du gâteau), plusieurs résultats étonnants ont été obtenus. « On y a trouvé de l’aluminium sous forme pure. […] Il est possible de trouver de l’or sous forme de pépite, mais normalement cela n’arrive jamais pour l’aluminium. C’est un cas extrêmement rare sur Terre et dans le reste du Système solaire pour autant que nous sachions », s’étonne George Belyanin, co-auteur.

« Nous avons également trouvé une phase constituée d’argent, d’iode et de phosphore, ainsi que des grains de moissanite (carbure de silicium), eux aussi sous une forme complètement inattendue. […] Il y a aussi des grains consistant en un mélange de nickel et de phosphore, et une quasi absence de fer : une composition minérale jamais observée sur Terre ni dans des météorites auparavant ». Autant d’éléments qui posent de nouvelles questions sur les origines du système solaire.

Des éléments uniques dans notre système

Ensemble, les HAP ainsi que les phosphures, l’aluminium métallique et la moissanite suggèrent qu’Hypatia est un assemblage de matériaux pré-solaires inchangés, c’est-à-dire des matériaux formés avant même l’apparition de notre système solaire. L’assemblage nickel-phosphore-fer est particulièrement intéressant car il appartient à la catégorie des éléments plus lourds qui forment les planètes telluriques.

Les ratios de ces trois éléments sont toutefois complètement différents de ceux qui ont été calculés pour la Terre ou mesurés sur des météorites. Les chercheurs pensent que les grains nickel-phosphore-fer sont pré-solaires car ils sont situés au cœur de la matrice et auraient difficilement pu être modifiés par l’impact, mais surtout parce que cet assemblage ne ressemble à rien de connu.

La composition de la matrice même d’Hypatia vient renforcer cette hypothèse. Généralement, la science admet que le système solaire s’est formé à partir d’un nuage de poussière cosmique relativement homogène (la nébuleuse solaire). L’absence de silicates – pourtant très présents dans notre système – au sein de la matrice suggère que si Hypatia s’est formée après l’apparition du système solaire, les circonstances de cette dernière ont besoin d’être révisées.

« Nous savons qu’Hypatia a été formée dans un environnement froid, probablement en-dessous de la température de l’azote liquide sur Terre (-196°C). Dans notre système solaire, cela correspondrait à une zone située plus loin que la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, d’où proviennent la plupart des météorites », explique Kramers.

« Les comètes proviennent principalement de la ceinture de Kuiper, par-delà l’orbite de Neptune […], certaines viennent du nuage d’Oort, d’autres de plus loin encore. Nous savons encore peu de choses sur les compositions chimiques des objets spatiaux présents dans ces régions. Par conséquent, il nous faut approfondir la question de l’origine d’Hypatia », conclut-il.

Publié par Emma Hollen, le 13 janvier 2018