Ce que notre génome doit à Néandertal

Deux études publiées à l’automne par la revue « Science » bousculent les idées reçues sur l’origine de notre patrimoine génétique. Jean-François Bouvet*
samedi 3 février 2018
par  Marie-José Turquin
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« Ces gènes néandertaliens que la sélection naturelle a conservés dans notre génome ont joué un rôle positif dans l’adaptation de nos ancêtres au froid. »
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Les technologies d’avenir ont l’intérêt paradoxal de nous éclairer sur notre passé. Ainsi, à l’heure où l’humanité s’interroge sur ce que lui réservent les vertigineuses promesses du séquençage génétique, elle met à profit cette biotechnologie pour mieux connaître ses origines. À l’automne 2017, deux publications majeures de la revue Science sont venues éclairer l’histoire d’Homo sapiens et ses liens avec ses cousins Néandertal.

On doit l’une de ces études d’anthropologie à l’Institut Max-Planck. En utilisant l’ADN d’un fossile féminin de la grotte de Vindija, en Croatie, les chercheurs de Leipzig ont réussi à séquencer un génome néandertalien complet. Une précédente étude avait, elle, porté sur l’ADN d’une femme néandertalienne de la grotte de Denisova, en Sibérie. Elle avait montré qu’un métissage entre Néandertal et Homo sapiens s’est produit il y a plus de cent mille ans. Si le séquençage génétique de la femme de Vindija ne représente pas en soi une première scientifique, pourquoi s’en faire l’écho ? Parce qu’il a permis de préciser la part néandertalienne de notre génome. L’équipe de Leipzig a pu identifier 10 % de zones supplémentaires héritées de Néandertal. Quasi nulle chez les Africains, la proportion d’ADN néandertalien est loin d’être négligeable chez les Eurasiens : hors celles d’Océanie, toutes les populations non africaines en portent environ 2 %. Avec un léger surplus pour les Extrême-Orientaux par rapport aux Européens. Ces gènes néandertaliens que la sélection naturelle a conservés dans notre génome ont joué un rôle positif dans l’adaptation de nos ancêtres au froid. En revanche, dans les conditions de vie actuelles, ils auraient pour effet pernicieux de favoriser l’obésité. Comme quoi un gène n’est ni bon ni mauvais en lui-même ; tout dépend de l’environnement auquel se trouve confronté l’organisme qui le porte.

Les variants de deux gènes connus pour être associés chez les Européens à une peau claire auraient fait leur apparition en Afrique il y a un million d’années. »

L’autre étude majeure publiée par Science a été pilotée par l’université de Pennsylvanie, à Philadelphie. Grâce au séquençage du génome d’un grand nombre d’Africains de diverses ethnies, elle nous apporte des informations inédites sur l’histoire des couleurs de peau. Classiquement, on considère que, lors de la migration d’Homo sapiens de l’Afrique vers des zones à faible ensoleillement, une peau claire, plus à même d’absorber les ultraviolets nécessaires à la synthèse de la vitamine D, a été favorisée par la sélection naturelle. Mais l’histoire se révèle aujourd’hui plus complexe. Il s’avère en effet qu’une large partie des mutations liées aux couleurs de peau sont apparues avant même l’émergence d’Homo sapiens, il y a quelque trois cent mille ans. Ainsi, les variants de deux gènes connus pour être associés chez les Européens à une peau claire auraient fait leur apparition en Afrique il y a un million d’années – avant de se disséminer en Eurasie. Autrement dit, si la plupart des Européens ont la peau claire, c’est pour partie à des ancêtres africains qu’ils le doivent.

* Biologiste. Dernier ouvrage paru : « Bébés à la carte » (Équateurs).


Les Néandertaliens de Vindija vieillissent de 8 000 ans ! (08/09/17)

Une datation plus précise repousse les restes néandertaliens à 40 000 ans arrière…

JPEG - 27.1 ko Os de néandertaliens à Vindija en CroatieVindija : des Néandertaliens intéressants à plus d’un titre
La grotte de Vindija, située à 20 km de Zagreb, en Croatie, a été découverte en 1974. Elle fut un endroit de passage pour des hominidés (Néandertaliens et Homo sapiens) mais également des canidés et des ursidés. Preuve d’occupations nombreuses, la stratigraphie a délivré des artefacts sur une période de presque 150 000 ans au Paléolithique.
Les restes d’Homo neanderthalensis étaient les plus remarquables, car leur datation radiocarbone donnait un âge compris en –28 000 et – 29 000 ans. Puis une nouvelle étude avait « vieilli » ces restes à - 32 000 –34 000 ans. Ils faisaient donc partie des Néandertaliens les plus récents connus, ultimes survivants d’une espèce éteinte. Il était donc cohérent de penser que ces « derniers Néandertaliens » s’étaient mélangés avec les premiers Sapiens arrivés en Eurasie.
C’est également les ossements néandertaliens de Vindija qui ont richement contribué à la recherche génétique sur Néandertal. En 2008, les chercheurs avaient pu séquencer le premier génome mitochondrial complet de Néandertal à partir de matériel de la grotte de Vindija. En 2010, c’était toujours l’ADN néandertalien de la grotte qui avait permis de montrer les correspondances de 1 à 4% avec le génome des Homo sapiens.
Vue sous différents angles d’un fragment osseux néandertalien de la grotte de Vindija, en Croatie. Credit Thomas Higham.

Une nouvelle datation à 40 000 ans B.P.
Une nouvelle étude des ossements a été publiée par les archéologues Thibaut Devièse et Thomas Higham (Université d’Oxford). Les scientifiques ont repris les ossements déjà étudiés (ainsi qu’un fragment récemment identifié) et ils ont appliqué une nouvelle méthode pour éliminer la pollution des échantillons par des sédiments plus récents.
La nouvelle technique de datation a pour caractéristique de purifier le collagène qui sert de base à la datation et d’éliminer ainsi tous les contaminants possibles. Appellée ZooMS (pour Zooarchéologie par spectrométrie de masse), cette méthode consiste à dater l’hydroxyproline (un acide aminé contenu dans le collagène).
Tous les prélèvements ont donné la même date de 40 000 ans BP au minimum, reculant donc la datation de 8000 ans par rapport à ce qui était admis précédemment. Le nouveau fragment a même été daté de -46 200 ans B.P. (± 1 500 ans).

Des éléments pour repenser la chronologie de la grotte
Les chercheurs indiquent que les strates archéologiques qui présentaient côte à côte des artefacts et des ossement d’animaux récents et des ossements néandertaliens plus anciens avaient probablement été mélangés par un autre habitué de la grotte : l’ours des cavernes. C’est l’espèce dont on a trouvé le plus de restes dans la stratigraphie.
Par ailleurs, avec cette nouvelle datation il apparaît que les Néandertaliens de Vindija ne font plus partie des ultimes survivants de leur espèce. Leurs plus anciennes traces data,nt de 40 000 ans au minimum il devient peu probable qu’ils aient pu rencontrer les premiers Homo sapiens qui arrivaient.

Pour Thibaut Devièse, auteur principal de l’étude, « Cela signifie que le groupe de Néandertaliens a disparu juste avant l’arrivée des hommes modernes en Europe ».

« Les Néandertaliens de Vindija ont été, depuis des décennies, considérés comme une population survivante qui végétait à proximité des premiers colonisateurs humains modernes en Europe », a déclaré le professeur Tom Higham, co-auteur de l’étude.
« Les résultats de cette nouvelle étude démontrent, encore une fois, l’importance cruciale d’une chronologie fiable en archéologie. »

Pour l’anthropologue Erik Trinkaus (Université de Washington à St. Louis) « Cette étude met fin à une présence anormale de Néandertaliens récents dans cette région… »

Le Dr Thibaut Devièse, a déclaré : « La recherche que nous avons menée montre les grands avantages à développer de méthodes chimiques plus performantes pour la datation de matériel préhistorique qui a été contaminé, soit sur le site lors de la découverte, soit dans le musée ou le laboratoire dans un objectif de conservation ».

Les deux chercheurs pensent que cette méthode de « purification » des prélèvements devrait être généralisée sur tous les restes humains du Paléolithique. Ils jugent que les ossement devraient être datés en utilisant ZooMS pour contrer « l’impact, même mineur, de petites quantités de contamination des temps modernes ».